Maurice Druon   -   Mémoires de Zeus   -  10/ Typhon, Tantale, le Déluge
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Rancune de Gaia. Attaque de Typhon. La fuite des Dieux.
C'est alors que la Grande Aïeule se sentit offensée. Craignait-elle que, comme Ouranos, je crée de nouvelles espèces ? Est-elle fâchée de la mort de Python et de l'installation sur son oracle de celui d'Apollon ? La perte des Géants l'irritait-elle ? Elle s'était débarrassée d'Ouranos en armant Cronos et de Cronos en m'aidant, il lui vint l'envie se susciter ma chute.
L'Aube des Dieux
Gaia la Grande Aïeule des ses embrassements avec le flot, l'Erèbe, le Tartare, avaient produit furies et monstres et elle gardait son dernier rejeton nommé Typhon. Nous savions qu'il existait mais personne ne l'avait jamais vu et nul ne savait comment s'armer contre lui. Et brusquement Gaia lâcha Typhon.
Nous étions réunis sur l'Olympe quand mille taureaux furieux mugissants, mille bisons chargeants, mille lions rugissants n'eussent pas produit un bruit plus effroyable. Les Gueules de mille Hyènes n'eussent pas répandu plus forte pestilence. Le crépuscule s'obscurcit d'un coup. Un ouragan couchait les forêts, courbait la nature et soulevait l'eau des fleuves.
Les Jours des Hommes
Il surgit derrière nous, plus haut que toutes les montagnes. Sa nuque, garnie de cornes et d'écailles, dérangeait les astres. Six bras immenses s'achevaient par six mains dont les six doigts étaient des serpents. Une colère incessante secouait sa tête affreuse autant de reptile que de monstre lacustre. De ses yeux glissaient de longues lueurs livides. Entre six rangs de crocs, sa gorge de cratère crachait des rocs rougis et son corps était constitué de cent autres serpents enlacés qui les propulsaient avec une prodigieuse célérité.
Typhon - Great red Dragon - William Blake
A sa vue tous les Dieux s'enfuirent et nous dévalâmes l'Olympe aussi vite que nous pûmes, dans une grande panique, tous ensemble, nymphes, faunes, dryades, aux hommes mêlés aux bêtes. Trente mille divinités abandonnaient leurs tâches. Enfin nous parvînmes en Egypte. Je criais aux Dieux de prendre l'image des animaux. Aphrodite revêtit la forme argentée d'un poisson, Héra se fit logis dans une vache blanche, Arès disparut dans un sanglier, Héphaïstos dans un taureau, Artémis dans une grande chatte sauvage, Apollon en corbeau, Hermès en ibis et moi-même sous un bouc cornu. Voilà pourquoi les divinités en Egypte sont vénérés sous leurs aspects animaux.
Le destin d'Egypte
Refuge des Dieux pourchassés, le destin qui te marque, Egypte, est l'un des plus grands. La nuit d'Egypte les étoiles y sont plus larges et plus brillantes. Le jour plus bleu , plus uni est plus intense qu'en aucune région. Quand il pleut en Egypte le monde  n'est que pluie, quand le vent de sable y souffle le monde n'est qu'une haleine jaune et chaude. Chaque élément d'Egypte se manifeste dans sa pureté et son absolu. Le Nil coule rectiligne sur des milliers de stade, le ciel d'Egypte est l'horloge du monde.
Le faucon solaire surveille la destinée, l'échassier suit le laboureur, le nocturne chacal rôde autour de la mort. Le pays d'Egypte est en lui-même un temple. Comme la terre de Grèce était désignée pour que s'y formât l'avenir de l'Homme, la terre d'Egypte était destinée à garder le souvenir des Dieux.
Typhon - Frise Beethoven - Gustav Klimt
Le combat contre Typhon. Le temps de l'impuissance.
Athéna qui n'avait pas trouvé d'animaux pour se cacher - la Raison ne peut pas se faire animal - se dressa prit sa lance et se planta devant moi. Même si tu dois succomber, vaut-il mieux succomber en bouc ou en Dieu, me dit-elle. Je sortis de mon accoutrement, déterrai mon foudre et cherchai un accompagnement. Je ne voyais que des animaux profondément occupés à leurs tâches.
Je retraversai la mer et dans la baie de Nauplie prit la faucille d'or dont Cronos s'était servi. Athéna était à mes côtés. Et Typhon, terrible et mugissant, arrivait à notre rencontre.
Je lançai des boulets de foudre qui rebondissaient sur ses écailles, je visai les yeux, les ailes, le ventre. Il répliquait en envoyant une poussière brûlante et en crachant des rocs incandescents. Athéna les écartait avec l'Egide. Enfin, je l'atteignais au front et le blessai durement. Il s'enfuit et tomba aux confins de l'Arabie. Je le poursuivis pour l'achever et il referma sur moi ses six bras gigantesques. Je me débattais en vain et finalement me fit lâcher la faucille. Il s'en saisit et taillada mes coudes et mes chevilles et en arracha les tendons. Je ne pouvais plus me lever, me mouvoir, ni seulement bouger une phalange.
Il m'emporta dans une grotte du mont Taurus en Cilicie et confia les tendons enfermés dans une peau d'ourse à la garde de sa sœur Delphinée, un monstre femelle semblable à lui-même. Celle-ci gagna aussitôt le val de Delphes où, remplaçant Python, elle reprit possession de l'oracle au nom de la Grande Aïeule. Quand à moi, le roi des Dieux, je connaissais l'impuissance.
Ruse d'Hermès. Les tendons repris à Delphine. Défaite de Typhon.
Athéna qui avait assisté à ces choses, retourna en Egypte pour informer les Dieux et les blâmèrent de ne pas m'avoir accompagné. Hermès s'avança et après avoir pensé, il appela Apollon et lui dit de prendre la lyre et de venir avec lui à Delphes. Le vainqueur de Python en tremblait. Au seuil de l'oracle, la visqueuse Delphinée les regardait approcher d'un œil glauque. Puis Hermès demanda à Apollon de jouer de la lyre en improvisant un chant tandis qu'il l'accompagnait à la flute.
Typhon - Mosaïque
Le monstre s'étira, ondula et se dandina en mesure. Femelle et serpent, Delphinée était sensible à la musique. Hermès engagea la conversation et lui donna le désir de disposer d'instruments pareils. Et de lui affirmer qu'il saurait fabriquer une lyre à sa taille, pourvu qu'il puisse trouver des tendons à la dimension du futur instrument. Le serpent est tentateur, mais peut-être tenté. Hermès ajouta que, si par chance la gardienne de l'oracle disposait de tendons de Dieux, alors son instrument produirait une musique sublime que nul n'aurait entendue et que tous viendraient au sanctuaire pour l'écouter.
Séduite, elle désigna les tendons que lui avait confié Typhon, se disant qu'ils seraient aussi bien dans ses doigts que sous une peau d'ourse. Hermès entra dans la grotte, s'empara des tendons et prenant son frère par la main, s'élança dans les airs de toute la vitesse de ses sandales ailées. Il vint directement au mont Taurus, pénétra dans la grotte et me renoua tous les tendons, comme un preste chirurgien. D'un coup faisant sauter les parois de la grotte, je me retrouvai debout.
Je ne perdis pas de temps, courus sur l'Olympe, attelai mon char. Typhon était couché dans les déserts d'Arabie. Il se croyait déjà le paresseux du monde. Il ne m'entendit pas venir et du haut de mon char, je l'accablai d'une grêle de feu. Il s'enfuit terrifié sur le Mont Nysa au cœur de l'Asie. Là, postées par les Destins, se tenaient les trois Parques. Typhon demanda du secours et elles lui désignèrent l'Arbre magique qui portait des fruits invincibles.
Moderne Delphinée
Il les cueillit et s'en servit contre moi, mais les arrêtant de la foudre, je les renvoyai sur lui, lui causant d'inguérissables blessures. Poursuivant son combat, il couvrit de sang le mont Haemos, repassa sur la Grèce, ravagea les Pouilles et la Campanie et atteignit la Sicile où finissent les Géants et les monstres. Montrant alors à l'univers que j'avais recouvré mes forces, je soulevai l'Etna et dessous écrasai Typhon. Son haleine de souffre aujourd'hui encore s'en échappe. 
Retour à l'Olympe. Le monde convalescent.
Une nouvelle fois, on reconstruisit le palais de l'Olympe qui était un palais de souvenirs du monde. Mais j'avais perdu la certitude d'être invincible et je devais mon salut à mes enfants. Héra en profitait pour montrer plus d'aisance et d'autorité. Au loin, j'entendais Prométhée qui ricanait. et je pensai à ma détention, ma torture et d'attendre sans fin, comme à la peine comparable que je lui avais infligée.
Sur terre, les femmes aussi prenaient de l'assurance et des sociétés humaines furent dirigées par des femmes. Les temples et les oracles étaient sous leur autorité. En tout mal est la source d'un bien et le passage de Typhon réveilla les volcans, les neiges avaient fondu, la période glaciaire était terminée.
Les aurochs et les mammouths refluaient vers le nord pour y aller mourir. Déméter jetait des tapis de coquelicots sur la Macédoine et des améthystes lavandins sur la Provence et partout la renoncule, la violette, le fraisier sauvage, les amandiers roses et blancs. Et moi, je songeais par un nouvel amour de prouver au monde que ma vigueur était intacte.
Maia avait une sœur nommée Ploutô qui vivait en Asie Mineure dans une abondance extrême. Certaines rivières de son domaine charriaient de la poudre d'or, les arbres ployaient sous les fruits. Ploutô m'accueillit avec une pompe et un luxe qui me donnèrent une haute opinion de moi-même. Les troupeaux poussés vers moi s'abreuvaient à chacune des mille courbes du Méandre. Dans ses palais, elle avait fait jeter sur les sols de jaspe, des toisons de laine d'or. Mais je ne me souviens pas d'elle et seulement de ce qu'elle possédait. Filles toutes deux d'Atlas, elles étaient nièces de Prométhée et d'Epiméthée. Pourquoi donc je me tournai sans cesse vers cette race prométhéenne !
Si la chambre de Ploutô était couverte d'une toison de bélier, gonflée de pépites et de paillettes, l'étreinte fut décevante. Dépourvue de ses atours, elle était maigre et la laine, bossuée de métal, ne valait pas la simple laine d'Arcadie. Elle comptait ses trésors, je pensai à Maia et à d'autres. Des mauvaises amours, il n'y a pas que des mauvais souvenirs, il y a parfois des mauvais enfants, celui qui naquit de Ploutô, fut Tantale.
Plouto - Deville Chabrolle - la Musique
Caractère de Tantale, Sa richesse, le vol du chien d'or, l'ambroisie dérobée.
Dès son plus jeune âge, né d'une mère trop riche et d'un père tout-puissant, Tantale montra une arrogance insupportable. Je tentai de l'aimer, de l'aider, de trouver en lui les bons traits de mes autres enfants. Je le comblai de présents et comme s'il manquait de quoique ce soit, je le mariai à la nymphe Eurynassa, fille du Dieu-Fleuve Pactole dont les eaux abondaient en paillettes d'or. Il en eut trois enfants dont l'ainé fut Pélops. Il prit de nombreuses maîtresses mortelles ou divines dont Dioné et Stéropé brillent au milieu des Pléiades. 
Il était séduisant et sa fortune inépuisable. Il se croyait tout permis, mais il vola le chien d'or, façonné par Héphaïstos, qui gardait l'Olympe depuis que nous avions été surpris par Typhon. J'accusai Hermès, Dieu des voleurs, mais celui-ci se moqua tout en proposant son aide. Il le retrouva du côté du Pactole, devant le palais de Tantale, l'or appelle l'or, et le ramena sur l'Olympe.
Je convoquai Tantale et tout le monde craignait, mais lui voulait s'amuser, tout simplement. J'aurai du sévir, Tantale devait promettre, il ne promit rien. On fit la fête, Hébé servit l'ambroisie, je bus un peu trop et le lendemain, Hébé me prévint qu'il manquait une jarre d'ambroisie. Et un moment après, ma fille Atropos, la troisième Parque, vint m'informer qu'il manquait deux hommes. Ils avaient disparus et n'étaient pas morts, ces ciseaux ne pouvaient pas trancher leur fil. C'était des amis de Tantale et comme Prométhée avait volé le feu, Tantale avait volé l'immortalité pour la donner aux humains.
Chien Rhyton - Héraklion Musée
L'immortalité.
Mes fils, pourquoi ai-je dû châtier Tantale ? Ne vous apportait-il pas ce que vous espériez de plus ? L'immortalité. Non, Ouranos vous a créé, vous faire reproduire qu'à la condition de rester mortel, afin que toute manifestation de cette vie ait un terme. Il n'y a pas autre chose que deux forces, le mélange et la répulsion de deux éléments. Pas d'Eros sans Thanatos. Sans la mort, vous ne seriez pas. La vie est le réservoir du futur, sans mortalité il n'y a plus de futur.
Vous pouvez préparer une race de surhommes et qui ne serait qu'une race de vrais hommes telle que les Dieux l'attendent. Et elle restera mortelle. La seule immortalité commence au-delà de votre mort, quand les éléments dissociés retournent à leur principe et rejoignent les Dieux. Mais revenons à Tantale.
Thanatéros - Anne-Lan (détail)
Le festin de Tantale.
J'expédiai Hermès, Héphaïstos et Athéna reprendre à notre voleur la jarre d'Ambroisie, qui fort heureusement était presque pleine. Ils amenèrent Tantale avec eux. Je l'interrogeai pour connaître ses motifs et ses inspirations. Mais lui disait qu'il voulait rendre service à des amis. Sans aucun remord ni même compréhension, il finit par rechercher la réconciliation et proposa un grand banquet chez lui. Méfiant certes, j'acceptai.
Les Dieux ne me comprenait pas, comment pouvais-je pardonner une seconde fois ? La confiance simulée abuse les méchants et les encourage à commettre l'irréparable. Ce fut en Lydie, chez Tantale. Tout était en or; coupes, plats, cratères, les nappes de fils d'or tressés, des fruits à la peau d'or s'amoncelaient en pyramides, le miel et le vin avaient une couleur d'or.
Quand on servit la viande, elle était préparée et découpée et dès que je fus servi, je fis signe aux Dieux de ne point manger. Mais ma sœur Déméter distraite et affamée, mordit dans la chair qui lui était présentée. Je hurlai pour l'arrêter, mais trop tard, elle venait d'avaler une épaule d'homme. Je demandai ce qui nous était servi et à la troisième demande, il répondit que c'était Pélops son fils qu'il offrait en sacrifice aux Divinités.
Tantale insista et affirma à ses frères qu'il voulait donner l'immortalité aux hommes et comme on l'a empêché, autant mangez vos fils avant qu'on vous les prenne et vous deviendrez immortels, comme les Dieux. J'étais furieux et désespéré, il avait l'hérédité de Cronos, celle de la folle domination et du faux raisonnement pour appuyer le crime. Il avait voulu me détrôner.
Festin des Dieux - Jan Van Biljert - Dijon Magnin
Résurrection de Pélops. Le destin des Atrides. Supplice de Tantale.
Je fis enchaîner Tantale en le faisant garder par Athéna. Mais il fallait réparer le crime. Hermès mit tous les morceaux du malheureux Pélops dans une bassine, les recouvrit d'ambroisie, et se mit à les recoudre. Mais il manquait une épaule. Hermès confectionna une épaule en ivoire et quand tout fut assemblée, je demandai à Héphaïstos de lui rendre la vie.
Plus tard, après le Déluge, j'envoyai Pélops gouverner la Grèce, premier roi du Péloponnèse. S'il tua son cocher, ce fut à regret pour protéger l'honneur de sa femme, mais ce mal ressurgit dans sa descendance. Son premier fils fut Atrée et les Atrides perpétuèrent les uns sur les autres tous les parricide, fratricide, infanticide, népoticide possibles.
Tantale est aux Enfers, assis sur un siège d'or, lié par des chaînes d'or. Au-dessus de lui des branches s'inclinent chargées de fruits merveilleux, mais dès que Tantale approche la bouche, la branche se relève hors de sa portée. Il règne une chaleur de fournaise et à ses pieds coule une eau fraiche qui parfois monte jusqu'au menton, mais s'il veut boire une goutte, elle fuit aussitôt et ne laisse qu'une boue noire. La soif est une torture plus pénible encore que la faim. Voilà l'éternel banquet de cet éternel meurtrier.
L'anthropophagie.
L'équilibre de l'univers est bâti sur l'équilibre des forces. Or si l'une de ses forces se détruit elle-même, elle interdit l'existence de ce qu'elle aurait combattu. L'embrasement qu'il soit amour ou feu, ne s'effectue plus. Ainsi chaque fois que vous commettez l'homicide, que vous assassinez, que vous massacrez entres factions, nations ou races, vous appauvrissez la force de l'humanité. Chaque mort est un suicide. S'il vous vient à manger de la chair d'homme, vous neutralisez votre propre force et vous introduisez le désordre dans l'univers.
Supplice de Tantale - Langetti - Venise - XVII ° siècle
Les loups, dites-vous, ne se mangent pas entre eux, auraient-ils plus de sagesse que vous ? Prenez-y garde et écoutez l'histoire des enfants de Lycaon.
Les fils de lycaon
Dès que j'eus enchaîné Tantale aux Enfers, je réunis les Dieux et leur demandai de parcourir la terre, pour lui faire connaître l'interdiction formelle de goûter à la chair humaine. Malgré cela la quatrième race dévorait ses fils. Des guerriers mangeaient leur ennemi croyant doubler sa propre vaillance. On sacrifiait un jeune homme et partageait ses membres dans le brouet de fêtes, rendant personne responsable. On immolait une vierge afin que la vie ne surgisse point d'elle, mais soit conserver par les vieillards de la tribu.
Ainsi on me rapporta, qu'en ma chère Arcadie, un roi faisait chaque année sacrifier un enfant et le mangeait. Ce roi, nommé Lycaon, avait de ses épouses; cinquante fils. Il se disait ami des Dieux qui venaient souvent à sa table. Ce cas était très grave et, me déguisant en vieux mendiant, je me présentai à la demeure de Lycaon, demandant asile et subsistance.
Les serviteurs me conduisirent au roi qui me fit grands égards, me donna la chambre d'apparat et ordonnant un festin en mon honneur. Je répondis que c'était trop et qu'une galette, une gousse d'ail et un coin de litière d'écuries me combleraient.
Or les fils de Lycaon voulant savoir si leur père les abusait ou si vraiment les Dieux se pressaient à leur porte s'entendirent à quarante-neuf pour éventrer le cinquantième; le petit Nyctimos et ils mêlèrent ses entrailles aux tripes de chèvre et de mouton que l'on préparaient. Ils se disaient, si le vieux pauvre est un Dieu, il s'en apercevra et châtiera Lycaon, sinon nous pourrons le détrôner.
Lycaon transformé en loup - gravure
La table était mise, Lycaon me mit en bout de table, s'assis à ma droite et ses enfants ensuite par ordre d'âge. On apporta le chaudron et me servit. Quand je portais la cuillerée à ma bouche, je vis quarante-neuf regards fixés sur moi. Et soudain, me dressant je renversai la table, les assiettes et le chaudron.
"Scélérats - m'écriai-je - Vous avez voulu me faire manger de la chair humaine, tes fils t'ont perdu, Lycaon en voulant te convaincre de tes mensonges. Aujourd'hui, un Dieu est vraiment à ta table. Et vous gredins digne fils d'un indigne père, où se trouve votre frère si ce n'est dans les morceaux jetés à la poussière à défaut de vos ventres ? Je vais ressusciter Nyctimos et le placer parmi les immortels."

Le châtiment s'abattait déjà, une boule de feu énorme approchait, ce n'était pas mon foudre, ce n'était pas le soleil qui tombait, c'était son fils.
La chute de Phaéton. L'astre perdu.
Hélios avait un fils qui s'appelait Phaéton, le Brillant. Phaéton jalousait son père qui, chaque matin, rênes d'or en mains, partait sur son char faire le tour du monde. Il enviait sa rayonnante splendeur, son regard sur toute chose, la joie des hommes, bêtes et plantes à son arrivée. Il avait souvent demandé à conduire le char, avait observé les gestes de son père, comment se tenir et retenir les coursiers. Il était adulte et ne voulait pas être inactif comme ses sœurs les Héliades, petites étoiles sans gloire.
Toujours Hélios avait refusé, et ce jour là . . . lassitude, bonté, faiblesse, il fit à Phaéton cent recommandations. L'aurore ouvrit les vantaux et les chevaux s'élancèrent. Comme ils connaissaient la route tant de fois parcourue, Phaéton s'abandonna à admirer. Il était le Resplendissant, l'Eclatant, le Superbe. Il se pencha hors du char et devant l'immensité de l'abîme, il fut saisi de vertige. D'un geste maladroit, il s'accrocha aux rênes et mit les chevaux hors de leur ligne.
Le char montait trop haut vers les constellations et soudain un autre cheval se cabra devant lui; le Centaure du Sagittaire. Les chevaux se dévient et foncent vers le Capricorne puis devant les Poissons. Il évite le Bélier, donne vers le Taureau, déjà la Lion rugit. Les chevaux fuient, le char cahote, Phaéton est projeté et tout tombe à la fois. Il tombe le fils présomptueux, il se rapproche et tout va brûler, sauter, exploser.
Je pris la foudre et je la lançai sur Phaéton qui lâche les rênes. Hélios s'est jeté dans les airs et reprend ses chevaux. Phaéton tombe encore et je le foudroie et parvient à le dévier. Sa chevelure flamboie, puis il se brise et s'éparpille. Des fragments heurtent partout la terre d'une substance inconnue, d'autres se dispersent dans les nues, et d'autres encore criblent la lune. Le soleil qui tournait sur une ellipse, a perdu l'un de ses foyers, un petit astre est perdu.
La chute de Phaéton foudroyé - Gustave Moreau
Deucalion. Prophétie de Prométhée. Construction de l'arche. Le Déluge.
Deucalion était le fils de Prométhée, fils du Dieu de l'Homme, il était mortel et heureux de l'être. Il avait épouser sa cousine Pyrrha, file d'Epiméthée et Pandore. Il se tenait droit, juste et présentait aux Dieux un parfait miroir de la conscience de la vie. Il formait avec son épouse un résumé du monde et n'enviait personne. Il se rendait souvent au Caucase tenir compagnie à son père et restait là silencieux. Il pensait que si ses fils pouvaient avoir la moitié de son génie et la moitié de sa patience, le peuple humain aurait un bel avenir.
Prométhée à force de regarder les astres avait développer son sens des présages et un jour que Deucalion était venu une nouvelle fois, il lui demanda de construire un grand coffre qui pourrait flotter et dans lequel il mettrait des vivres pour neuf jours de subsistance. "Hâte-toi, quand le feu tombera, monte dans le coffre avec Pyrrha, nous ne nous reverrons plus. J'attendrai un de tes descendants." ajouta-t-il.
De retour en Thessalie, Deucalion se mit à l'ouvrage. Pyrrha se moquait, lui abattait les plus beaux acacias. "Obéissons et si nous devons comprendre, nous comprendrons après." répondait Deucalion. Quand il vit l'astre Phaéton tomber, il saisit sa femme par le poignet et l'entraîna vers le coffre. La fournaise fut si intense que l'eau des rivières et des lacs disparut. Puis quand j'eus détruit Phaéton, toutes ses eaux devenues vapeur se condensèrent en énormes nuées. La pluie se mit à tomber. C'était le Déluge. Les lacs se remplissaient et débordaient, les fleuves gonflés sortirent de leur lit, l'eau tombait dans l'eau.
Déluge - Jacqueline Comerre-Paton
Les villes se couvrent d'eau, les temples s'écroulent sur leurs assises amollies. Sur les toits, on entend que des cris d'horreur ou de vaine prière. Les grottes et les refuges sont noyés. Hommes, animaux des plaines et collines et même oiseaux s'abîment dans l'onde. Les corps gonflés flottaient sur un immense Styx. Au neuvième jour, quelques hautes montagnes émergeaient où des rares animaux agiles s'étaient réfugiés. La pluie cessa, les nuées s'éclaircirent et le char d'Hélios reparut dans le ciel.
Deucalion et Pyrrha flottaient dans leur coffre et ils s'apprêtaient à tuer leur dernière colombe. Deucalion la préserva, elle avait été sauvée comme eux et lâcha la colombe. Elle revint avec un rameau d'olivier, signifiant que les eaux baissaient. Le soir le coffre heurta un sommet, ils étaient arrivés sur le Parnasse. Ils attendirent la nuit suivante, puis ils sortirent. Triton, avec un appel de conque, rappelait les eaux. Deucalion ne voyait plus, dans un grand silence, que des animaux tremblants et aucun homme. Deucalion remercia les Dieux de les avoir épargnés et pria de le guider et d'inspirez ses actions.
Je le vis et appelai Thémis pour qu'elle aille, dans son temple au bord du Céphyse, éclairer ce juste qui viendra consulter la Loi. Hermès était là aussi, les ailes aux sandales et le caducée aux doigts. "Exprime ton vœu et il sera exaucé, mon père en a ainsi décidé" lui-dit-il. Il aurait pu demander de nous rejoindre, non il demanda des compagnons pour que la race humaine soit recommencée. Thémis rendit son arrêt et leur dit " Quand vous vous serez éloignés de mon temple, dénouez vos ceintures et jetez derrière vous les os de votre mère. et vous serez exaucés."
Deucalion et Pyrrha
repeuplent l'humanité
Pyrrha comprenait le sens de "dénouer vos ceintures" mais pourquoi la Déesse disait de "s'éloigner de son temple", car les temples ne sont pas lieu où l'on s'accouple.
Deucalion comprenait la suite, car la Mère commune est la Grande Aïeule et les os de la terre sont les pierres que l'on rejette derrière soi quand on laboure pour ensemencer le sol et en tirer la nourriture de la vie. Tous les peuples ne nomment pas Deucalion du même nom; Sérambus aborda au mont Athos, les Babyloniens le nomment Parnapishtim, les Sumériens Xisuthros et le font se poser sur la mont Ararat, les Hébreux le connaissent comme Noah, mais ce qui est commun est le bois d'acacia pour le coffre du Déluge, car de ce bois l'on faisait les barques sacrées du Nil. 
Deucalion et Pyrrha eurent de nombreux enfants parmi lesquels Hellène, ancêtre de tous les Grecs. Ils se multiplièrent rapidement, labourèrent la terre, bâtirent de nouvelles cités. Ainsi commença la cinquième race, la vôtre.
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