Maurice Druon   -   Mémoires de Zeus   -  1/ Le Ciel et le Temps
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Les Origines
J'appartiens à la troisième génération divine. Le fondateur fut mon grand-père Ouranos, roi des Atlantes. 
L'Aube des Dieux
Avant lui, on cite un loitain aïeul, appelé Chaos, qui se serait accouplé au Vide femelle, Il aurait engendré les éléments primordiaux dont le plus puissant d'entre tous; Eros (Primordial) ayant le soin de poursuivre son œuvre en guidant les combinaisons des éléments. Chaos se serait retiré dans l'Aether où il s'y repose.
Pour la naissance d'Ouranos, ma grand-mère Gaia prétendit qu'elle l'avait enfanté elle-même sans principe mâle. Mais en fait nous ne savons pas s'il ne venait pas d'un autre univers et qu'il aurait ainsi fécondé notre Terre. Ma tante Mémoire (Mnémosyne) disait que je lui rappelais son père. Si effectivement j'en ai hérité, c'est pour les vertus d'Ouranos qui m'ont désigné pour être roi des Dieux. 
Les Jours des Hommes Vision de "Gaia et Ouranos" - Marquèterie -Spindler
Enfants et Œuvres d'Ouranos
Ouranos Céleste eut quarante cinq enfants; dont six Titans - Océan l'ainé et Cronos mon père le plus jeune, six Titanides dont Rhéa ma mère, Mémoire ma tante, et aussi trois Cyclopes à un-Œil, trois Hécatonchires à cent bras et cinquante têtes, et encore les premières nymphes (des Frênes), divers dieux, déesses et Géants.
Les Hécatonchires étaient la force même, unis à trois en symbiose avec l'immense force de leurs bras et l'intense élaboration de calcul de leurs têtes. Les Cyclopes mobilisés par leur vision unique détenaient tout le pouvoir du feu et de la foudre. Rien de ce que vous faites mortels ne ressemblent à cela et s'ils sont aujourd'hui endormis dans la somnolence des profondeurs du monde, ils peuvent soudain s'éveiller.
Ouranos établit les montagnes, les glaciers, la lave ardente, les limons, les métaux et imposa à Pontos le Flot descendant du Chaos, la loi d'harmonie.
Il créa le plus grand système hydraulique de la pluie fécondante, tirant de sa propre rotation l'énergie de son mouvement. Océan se chargea d'exécuter cet tâche. Puis Ouranos créa les espèces. Tout ce qui verdit, fleurit, nage, vole, marche ou court, ce peuple des eaux, des airs, ce qui prend racine, ce qui mange, respire, ce qui chante ou pépie, feule ou brame, appelle, crie, ceux qui donnent des oeufs, des germes, des grains, qui se dédouble, qui enferme sa substance pour la transmettre à un être nouveau pourtant indentique, tout cela est son oeuvre.
Il fit le Nombre de la vie, le nombre est verbe sans parole, onde et lumière invisible, rythme et musique inaudible, variations infinies dans un tout immuable, chacune, émotion du Nombre. Mes fils, il vous faudra rêver quelque temps.
Quand vous regardez ces merveilles, vous serez absorbez par la justesse et la complexité, comme je le fus, détourné dans un acte d'amour avec une mortelle, par la beauté et la diversité de l'herbe qui m'entourait. Si cela vous arrive, faites-là participer et montrer lui les merveilles de la découpure du feuillage, alors vous verrez combien meilleur sera cet Amour que vous partagiez.
Les espèces disparues, l'ambition des Titans, leur chatiment
De toute la création, combien d'espèces disparues, d'essais nombreux, de repentirs, Combien de fossiles sont restés gravés dans la pierre, d'écaille se sont changée en plume, 
Puis les Titans, loins d'épauler leur père voulurent rivaliser avec lui. Or ne connaissant que certaines varaitions du Nombre, mais pas le Nombre lui-même, ils créèrent des animaux gigantesques et déséquilibrés, des monstres, des hydres, des dragons, Les plantes elles-mêmes étaient frappées de gigantisme et de croissance démesurée que les Titans eux-mêmes ne maitrisaient plus.
Ouranos devant ce péril, noya la Terre avec violence dans l'eau, la glace ou le feu, secoua les montagnes, modifia l'axe de rotation de la Terre. Puis il enferma dans les entrailles de la Terre, les Titans, les Cyclopes et Hécatonchires qui les avaient suivis. Seul Océan, les Nymphes et les Titanides, dont Mémoire qui conservait le registre de tout, furent conservés près de lui.
Gaia - Mamiro
Le corps de la Terre, les Destins
Certes quand je parle de la Terre (Gaia), je suis tout à la fois à parler de ma grand-mère, ou d'une grande déesse primordiale ou de l'amoncellement des substances qui la forment, ou encore comme le champ des travaux d'Ouranos. De même quand vous parlez de vous, vous parlez de votre être, de votre pensée, mais aussi de vos myriades de cellules qui oeuvrent au tréfond, en celà aidée par plus encore d'êtres; souches, bacilles, qui coopérent ou vous détruisent, mais qui tous ensemble forme ce que vous êtes. Et chacun de ces êtres ne sait pas ce que vous faites quand vous pénétrez vos épouses, ni comprendre la cause et le but du frémissement qui vous parcourt. Ainsi vous-mêmes, infimes bacilles dans le corps de l'Univers, vous n'en apercevez que très peu. Il en est de même de nous; les Dieux qui ne somment qu'une parcelle des Destins.
Car au-dessus de nous sont les Destins, aux décisions inpénétrables, aux natures inconnues, impulsion initiale, directeur des trajectoires et seul détenteur de la Destinée.
Nous pouvons suivre bien ou mal le chemin, mais toujours nous restons sur le chemin. Nous pouvons parfois communiquer avec les destins, mais ils restent toujours voilés. Enfin sachez que les Dieux, lorsque nous parlons, nous utilisons toujours trois modulations, s'agissant de parler du Principe d'une chose, de la Manifestion de la chose ou de l'Absence de la chose. Trouvez le juste sens de ces paroles.
L'Atlantide, Création de l'Homme, l'Age d'or
Ouranos ayant remis de l'ordre établit sa résidence sur le continent de l'Atlantide. Les marches du Palais étaient d'or pur, les colonnes de cristal de roche, les murs de pierres précieuses aux sept couleurs de la lumière, les toits de diamants. Les arbres aux belles essences abritaient les merveilleux oiseaux, et formaient un immense parc tapissé de fleurs.
C'est là qu'Ouranos créa l'Homme, non pas descendant du singe qu'il envoya dans les arbres du Parc, mais moins agiles afin que vous soyez obligés d'y suppléer par les ressources de votre industrie. La plus belle réussite furent les Atlantes qui vécurent l'âge d'or. Mais je ne l'ai pas même connu, car le continent d'Atlantide s'était effondré avant que je naisse. Seul Mémoire m'en a parlé. Ils étaient plus grands que vous, ils vivaient sans porte car tout appartenait à tous, la jalousie n'existait pas, chacun s'unissait librement selon leurs harmonies.
Les animaux ne craignaient pas les hommes qui ne les chassaient pas. Ils se nourissaient de grains, fruits ou oeufs sans prendre la subsistance en retranchant celle déjà exprimée. Mortels certes par ordre des Destins, ils s'endormaient le soir de leur vie dans la pleine disposition de leur faculté. Ils parlaient peu pour économiser les fréquences dont il fallait modérer l'emploi. Mais ils communiquaient de pensée en pensée. Ils s'entendaient sans parole et au loin et écoutait la sublime musique du monde.
Atlantide - Di Maccio
Dernières œuvres d'Ouranos, les Espèces, les animaux domestiques, la faucille, le zodiaque
Ouranos continuait de créer, modifiant, complétant, rectifiant, diversifiant, il agissait en artiste comme le font quelque peu vos peintres sur carton ou canevas. Mais sans doute averti par les Destins, Ouranos créa des espèces nouvelles prêtes à aider l'Homme; le cheval pour le porter, la vache ou la chèvre pour le nourrir, le chien pour l'aimer et le garder.
Pour l'aider quand il serait obligé de travailler, il confectionna la faucille pour l'Homme sachant que celle-ci serait l'instrument de son propre malheur. Il leur offrit aussi le calendrier et leur apprit à lire la grande horloge du Zodiaque.
Gaia - la création des espèces - Bruno Schmeltz
Haine de Gaia pour Ouranos, Complot avec les Titans, la Mutilation d'Ouranos par Cronos, les enfants de la blessure
Gaia qui prétendait avoir engendrée Ouranos, le détestait maintenant et lui reprochait d'avoir enfermé ses enfants; les Titans. Elle lui reprochait ses interminables étreintes et créations. Or Gaia était lasse d'Ouranos et désirait Pontos. Quand la haine au désir se substitue, tous les griefs ne sont qu'invention, et l'on n'en veut à l'autre rien, sinon d'être ce qu'il est.
Mortels, mes fils, prenez garde toujours à notre aïeule Gaia la Terre. Elle est irascible, acariâtre et volontiers mégère. Elle a de sournoises fureurs de la peau qui font tomber vos villes et les temples que vous nous avez dédiés. Elle vous engloutit dans des crevasses, elle fait pousser des furoncles volcaniques, quand elle s'offre à Pontos le flot , elle vous submerge de raz de marée. elle brise vos socs ou bêches et fait ensuite pourir vos semailles. Ne lui faites jamais confiance et traiter là avec rudesse.
Gaia s'adressa aux Titans et leur prêcha la révolte. Ils se récusèrent tous, n'osant affronter Ouranos. Tous sauf Cronos qui accepta de tenter l'odieuse entreprise en échange de devenir le roi du monde. Un soir, il s'échappa du Tartare et s'arma de la faucille d'or que Gaia avait dérobé aux Atlantes. Ouranos s'approchait de Gaia pour la féconder et Cronos lui trancha la verge et les bourses. Nul ne pourra oublier le rugissement que poussa Ouranos.
Du sang qui jailli de la blessure, naquit les Erinyes terribles divinités de la vengeance, mais aussi Pan, Silène, les Faunes, et aussi les Géants; Alcyonée, Ophion, Porphyrion le rouge. Un cheval reçu une goutte donnant le premier Centaure. Quant à l'écume séminale, elle tomba dans la mer du côté de Chypre et fit sortir de l'onde Aphrodite aux bras d'ambre, aux seins parfaits, la plus belle, la plus désirable et la plus désirée des Déesses. Mais elle reste froide, cruelle et plus attirée par elle-même et l'amour de soi, Comme une malédiction paternelle, elle recherche sans fin une félicité qu'elle n'atteint jamais.
Mutilation d'Ouranos - Florence - Palazzo Vecchio
Ouranos maudit son fils et lui prédit une fin comparable à celle qu'il venait de lui faire subir. Il se retira alors dans le haut du ciel où il se repose. Pourquoi arrêta t-il ses recherches et invention ? Hermès mon fils qui inventa le langage vous a proposé une même racine pour gène, génitoire et génie.
Cronos jeta la faucille qui devint le cap Drépanon tandis que la courbe sublime le golfe de Nauplie dont au fond scintille encore la lame d'or.
Le règne de Cronos, Titans libérés, Amour de la Terre et de Pontos, fin de l'âge d'or
Cronos délivra ses frères Titans, Il épousa Rhéa sa sœur, dirigea les Dieux, Ses frères épousèrent les Titanides ou des Nymphes, Gaia s'offrait aux étreintes de Pontos, et la Nuit (Nyx) généra les Délires entre les bras d'Erèbe son frère, Dieu des Ténèbres infernales.
Eros présidait ses unions, poussant les forces les unes vers les autres, tout en activant les autres embrasements du Monde. Vinrent parmi les Dieux pour n'en citer que peu; les Gorgones et la triste Méduse, les deux Harpies, Némésis l'impitoyable, ainsi que Mensonge, Querelle, Faim, Douleur, Vieillesse, Meurtre, Anarchie et Désastre. Le temps de Cronos fut détestable et la modulation même de son nom fut Chronos, le Temps destructeur.
Si Océan et son épouse Téthys s'éloignaient de ses folies, si ma Tante Mémoire conservait le souvenir de son père et si sa sœur Thémis la Loi, observait pareille attitude, les autres Titans recommençaient leurs sottises, détruisaient l'Atlantide. Ils avaient libérés les Cyclopes et les Hécatonchires, sans savoir, ni pouvoir les guider et pour un feu de brindilles qu'ils demandaient à Argès, combien de forêts furent incendiées par sa foudre. 
Cronos essaya de faire croire qu'il était plus grand que son père, Il n'y parvint jamais, Le Temps n'est pas le Ciel. Ayant vu le Centaure apparaître, il crut bon de créer l'Homme-Lion, l'Homme Taureau, l'Homme-Bélier dont les Atlantes réfugiés en Egypte ou en Assyrie avaient gardé le souvenir. Ma tante Mémoire affirme qu'il mentait et qu'il n'avait qu'affublé des Géants de masques de bêtes.
Cronos à la recherche du Nombre - Effondrement de l'Atlantide, premier Déluge
Cronos n'arrivait pas à pétrir le plomb et les métaux tristes, S'élevant vers le ciel il criait "Père, Père, où as-tu caché le Nombre ?" Mais Ouranos était muet. Il demanda aux Hécatonchires de remuer le palais pour trouver le Nombre; tant et si bien que le palais se brisa, les Atlantes s'enfuirent. Les Cyclopes durent briser la cheville faitière de Diamant du toit, mais comme l'infiniment grand est contenu dans l'infiniment petit, c'est tout l'ensemble qui s'écroula.
Une immense fleur de feu, s'épanouit monstrueusement, se couvrit d'une nuée épaisse, la Terre disparut au regard des astres et Chaos pensa avoir perdu sa fille. L'Atlantide venait de s'effondrer. La mer disparue, retombait en pluie, tandis que Gaia s'abandonnait à Pontos le flot. Ce fut le premier Déluge. Par les fissures du gouffre où avait disparu l'Atlantide, Cronos apercevait les profondeurs du Tartare.
Jamais il ne pensa qu'il avait fait une sottise, plus maladroit, il accusa les Cyclopes et les Hécatonchires d'avoir commis l'erreur qu'il avait ordonné et il les enferma au Tartare. Océan sagement recouvrit les débris de ses eaux. Les Atlantes se dispersèrent et vinrent qui vers les Andes, la Bretagne, l'Ibérie, l'Etrurie, le long du Nil, du Tigre, aux plateaux de l'Inde et du Tibet. Ils se mélangèrent aux autres hommes; édifièrent des obélisques dressés vers Ouranos. C'est alors dans ces temps que je naquis.
L'Age d'Or - Joachim Wtewael - 1605
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