Maurice Druon - Mémoires de Zeus - 2/ Mon Berceau fut la Grèce

Cronos et ses enfants, Essence de la Vie, Désespoir de Rhéa, Subterfuge, Naissance de Zeus

Cronos gardait en mémoire la prédiction de son père Ouranos et avalait dans ses entrailles la descendance promise à le détrôner. A chaque enfantement Cronos se saisissait du rose nouveau-né et le dévorait. Ainsi disparurent Hadès, Poséidon, Hestia, Déméter et Héra. Il aurait pu s'abstenir de besogner son épouse, mais l'appel du désir lui était irrésistible.

L'Aube des Dieux

Rhéa vivait dans l'angoisse, pleurant un enfant, craignant pour celui à venir. Or quand elle me porta, elle demanda conseil à ma Grand-mère Gaia, la Terre. Or celle-ci avait changé d'avis sur Cronos et lui reprochait de mal gouverner. Le subterfuge qu'elle proposa était peu subtil et il fallait de l'audace pour imaginer qu'il puisse réussir.

Au point d'accoucher, Rhéa se dissimula dans la nuit et gagna l'ile de Crète où elle le mit au monde dans une grotte. Au matin, elle détacha une énorme pierre, l'entoura de langes et revenant vers son époux, la lui tendit en feignant une résolution désolée. Cronos préoccupé, l'avala d'un coup. Pour éviter que je sois reconnu, ma mère me fit naître sous forme humaine.

Les Jours des Hommes

Rhéa, Cronos dévorant ses enfants - Pietro Muttoni

La Crète, le mont Iouktas, la grotte de Psychro

De tout temps je devais naître en Crète et arrivant par Héraklion sur la route d'Akarnès, vous découvrirez mon effigie au sommet du mont Iouktas (ou tête de Zeus). C'était l'œuvre des Cent-bras qu'Ouranos avait commandé en l'honneur de son petit-fils à venir. J'ai aimé la Crète, j'ai donné des rois puissants, des palais étonnants, des architectes de génie ; Dédale et son fils Icare.

Mont Iouktas
(tête de Zeus couchée)
Héraklion
Crète

Grotte du Mont Dikté
Crète

La grotte où je naquis est située sur le mont Dikté, à l'accès si difficile pour vous mais aux parfums des herbes sauvages. Celui qui marche dans cette grotte ressortira avec de nouvelles clartés. Au sortir, la nymphe Amalthée lui apparaitra et lui donnera ses lèvres en baiser.

La nymphe Amalthée, la Chèvre, Les Curètes, La nymphe abeille

C'est Amalthée qui la première au matin, entendit mes cris et me nourrit avec le lait de sa chèvre. Quand je commençai à balbutier, je nommais indiféremment Amalthée; la Nymphe ou la chèvre. Rhéa découvrit ce spectacle de son enfan repus entouré de la chèvre et de la Nymphe et remercia les Destins de m'avoir fait prendre en charge. C'est auprès d'Amalthée que j'ai découvert le beau corps des femmes. Comme Cronos pouvait me chercher, elle me suspendait à un arbre quand elle s'élognait, ainsi il ne pouvait me trouver ni sur Terre, ni sur Mer, ni dans le Ciel. Puis elle appela des cousins; les Curètes, fils de la nymphe Combé, elle-même née de l'Asopos, cousins qui faisaient tant de bruits qu'ils couvraient mes propres vagissements de leurs danses, de leurs lances et de leurs grands boucliers de bronze.

Mélissa, sœur d'Amalthée, était nymphe des abeilles, fixa un essaim à l'entrée de la grotte dont coulait le miel de mes repas. Puis Amalthée craignit mes premiers pas, mes sorties au bord des ravins car elle ne savait pas que les méchants sont abusés par leur propre confiance. Et la pierre que Cronos avait dans son estomac lui servait de certitude.

La corne d'Abondance, le plaisir de donner, le roi Mélisseus, les premiers sacrifices

Homme je naissais, homme je jouais et jouant avec la chèvre Amalthéee je brisais sa belle corne en hélice. Je lui offris innocemment. Elle fut joyeuse et je compris la valeur du don divin. Elle se servit de la corne pour ramasser les fruits et celle-ci regorgeait toujours. Amalthée était fille du roi de Crète Mélisseus, et oui l'habit court sans tiare ne désigne pas les rois, Il se félicita de ce qu'avait fait ses filles et il fut le premier à remercier les Dieux en offrant les premiers sacrifices de quelques têtes de ses troupeaux. Or peut-être ne savez-vous pas que sacrifiez ne veut pas dire; tuer, mais remercier, en se privant (pour nous-mêmes) d'une partie de ce que les Dieux nous ont donné. Longtemps les sages et les pauvres furent nourris de la chair des moutons et des boeufs qu'on immolaient aux Dieux. Ce n'était pas un repas de charité mais un repas de partage. Si Mélissa offrit du bétail, c'est qu'il était pasteur, la Pièté n'est pas dans le mouton, mais dans l'offrande et le partage.

Amalthée - Robert Poetzelberger

Adolescence, les angoisses, les premies désirs

Enfant abandonné à l'assistance de la nature, je me sentais frustré et solitaire. Ma mère n'était jamais revenue de crainte pour moi ou pour elle et Amalthée m'avait révêlé ma divinité. Mais je ne savais qu'en faire prisonnier de cette île et craignant à tout moment d'être avalé, tout formé, par un père terrifiant. Je détestais alors Amalthée, puis nos âges se rapprochant, je me mis à la désirer.

Elle chauffait dans ses paumes des feuilles de thym qu'elle me faisait respirer et soudain je la vis comme je ne l'avais jamais vue. Son doux front bombé, ses cils battants sur des yeux bleus, sa bouche à demi boudeuse, à demi gourmande. Je me sentis parcouru d'une onde étrange qui soulevait mon coeur d'une force à la fois inquiétante et joyeuse. Que faisait alors Eros en Crète, glissé dans les feuilles du thym, furtif comme un serpent ou armé des flèches de la lumière ?

Vite, s'apercevant de mon regard, elle se leva, secoua ses paumes pour en chasser le parfum, ramassa la corne d'abondance pour y cueillir des fruits dont nous n'avions pas besoin. Et chaque fois qu'elle vit reparaître en mes yeux le même regard, elle inventa une raison de s'éloigner de moi.

Nos premières ardeurs nous surprennent nous-mêmes et ont, pour s'avouer, besoin d'encouragement que je ne recevais pas. Je finis par me persuader qu'Amalthée était nymphe étrangère à l'amour et que ce que je souhaitais d'elle lui était ou incompréhensible ou déplaisant.

Nous faisions de longues et folles courses à travers l'île. Déjà musclé, mais aussi pesant, la vitesse n'était pas mon fort et la nymphe se maintenait facilement à ma hauteur et même me dépassait. Nous descendions sur la plage tandis que le soleil descendait sur des promontoires de cuivre ciselé. O Amalthée, que tu étais belle, à la renverse étendue sur les eaux, le front couronné d'or, le ventre voilé de moire transparente et bleutée, et tes pieds doucement environnés de poussière d'étoiles.

Jamais elle ne succomba, respectant ma vie de Dieu qui sans cela serait restée humaine. C'est la preuve de son courage. L'adolescence prend souvent l'amour pour un exploit et s'habitue vite à le contenter, Trop tôt accompli, il détourne de l'œuvre et du pouvoir et s'y substitue au lieu d'en devenir l'attribut et la récompense.

Amalthée connaissait et suivait les Destins et si vous la rencontrez se moulant à vos flancs, n'ayez pas une trop faible opinion d'elle, ni trop haute de vous, car c'est moi qu'elle cherche entre vos bras, éternellement.

Amalthée, chèvre et Zeus - gravure - XVIII° siècle

Mort de la Chèvre, fabrication de l'Egide, le départ de Crète

Dans un temps fort âgé pour une chèvre, celle-ci mourut et nous en fûmes tristes. A l'horloge des éres, le Capricorne cède son règne au Sagittaire qui est le temps des combats. Amalthée découpa la peau, la frotta d'herbes choisis et la fit sécher, tendue sur deux branches croisées. Au bout de huit jours, elle me tendit le bouclier qu'elle avait fait pour moi. Ce fut l'Egide. Je m'en saisis et immédiatement, je me sentis grandir, rejoindre ma nature divine. Mes pieds touchaient les racines du monde, mon front atteignait les plus hautes nuées. Je voyais toutes les îles de la Grèce, chaussée préparée pour le pas des civilisations.

L'Egide
Pièce de Monnaie

Les pas de Zeus
sur Casos et Carpathos . . .

. . . puis sur Rhodes

Amalthée déjà ne me voyait plus. Et moi je marchais, quittant la Crète de mon enfance, posant le pied sur Casos et Carpathos, touchait Rhodes et poursuivant vers le nord.

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