Maurice Druon   -   Mémoires de Zeus   -  3/ Les Amours forment la jeunesse
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Métis la Prudence, ses Conseils, remise de la drogue
La première divinité que je rencontrai était assise au dossier d'une colline et ses pieds s'étendait jusqu'à la la mer. Sa beau était brune et ses seins un peu lourds. Elle me posa de nombreuses questions avant de m'apprendre qu'elle était ma cousine Métis (ou Prudence), fille d'Océan et Téthys. Je lui dis que je partais à la conquête du monde, mais elle me dit de me taire. Elle n'avait pas eu d'enfant - Prudence - et avait refusé plusieurs époux. 
L'Aube des Dieux
Puis voyant l'Egide, elle me dit "Garde-la près de toi". Quand vint la nuit, elle me demanda comment j'allais m'y prendre et voyant que je n'avais aucun plan pour la bataille, elle me révêla d'avoir des alliés sans quoi nul combat n'est vainqueur. Or les alliés qu'il me fallait était dans le ventre de mon ennemi. Elle retira une conque pleine d'un liquide obscur et m'enjoignit de la faire avaler à Cronos avant le matin afin qu'il recrache mes frères.
Métis - vase
Cronos obligé de régurgiter ses enfants, sa fureur
Les Jours des Hommes
Cronos était endormi sous la ceinture du Zodiaque, entre Taureau et Scorpion. Il était beau et je me mis à penser m'associer à lui plutôt que le combattre. Mais dans son rêve; il ouvrit la bouche et la refermait comme s'il savait que j'étais là. Je n'hésitais pas et versais l'émétique de Prudence.
Le monde ce matin-là trembla à six reprises et Cronos vomit d'abord la pierre qui alla se ficher au pied du mont Parnasse. Il comprit qu'on l'avait trompé. Et chaque fois qu'il était secoué, il rejeta l'un après l'autre mes frères et mes sœurs, qui à peine sortis s'épanouissaient à leur taille définitive et disposaient de leur adulte puissance.
Cronos régurgitant ses enfants Cronos chercha son épouse qui se cacha avec mes sœurs au sein des montagnes de Gaia. Hadès se dissimula dans un gouffre, Poséidon se réfugia chez Océan, et moi, je rejoignis Métis sur son rocher. Quand il passa si près de nous, elle lui montra la direction du soleil et, éblouit, repris sa course rageuse.
(Inversion du tableau de Rubens à Madrid en sens et couleur)
Deuxième nuit auprès de Métis, naissance d'Athéna
A passer une seconde nuit ensemble, un grand désir de nous unir nous vint. Pour être Prudence, elle n'en était pas moins féminine. Pourtant elle voulut s'échapper. Elle se dissimula dans la frange d'un flot; dans le sable du rivage, dans le souffle de l'air, mais je déjouai toutes ses ruses. Elle s'abandonna mais me dit de réfléchir à ce que j'allais faire. Ton enfant doit t'aider et non te jalouser, te seconder, pas te supplanter. C'est une fille que tu dois engendrer. Pense à la fille que tu vas faire.
Mon imagination la vit appuyée au bois d'une lance, et la tête coiffée d'un casque d'or. Pour la circonspection elle tiendrait de sa mère. Ainsi Athéna descendit de mon front au ventre de sa mère, sans que je remarque le plaisir mais plutôt la surprise. Non, jamais je n'ai avalé Métis et mon fils Héphaistos qui vint bien plus tard, ne m'a pas fendu le crâne. Je l'ai conçu en l'engendrant et c'est comme çà qu'il faut comprendre qu'elle est sortie, toute armée de ma tête
Puis Prudence m'avertit de ne pas faire de fils trop tôt et tant que je n'aurais pas assuré ma puissance. Nos premières maitresses ont sur nous empreinte profonde. Ainsi naquit Athéna, belle, grande, un peu lourde de corps, aux traits fiers comme les miens, au calme attentif de sa mère. Déesse de la Raison, sure de son jugement, apte au commandement. Je l'ai chargée d'arbitrer en mon nom les conflits des hommes. Et comme elle était une courageuse guerrière, je lui remis l'Egide qui rend son porteur invincible. Vierge, elle est restée.
Etat de l'Homme avant la guerre des Dieux, forces en présence, recherche des Alliés
La lutte que j'entrepris contre Cronos allait occuper dix années du monde sachant que chacune à la grande horloge du monde dure vingt-quatre mille ans. De quoi pouvez-vous vous souvenir des hommes depuis l'orogine ? Du temps des pierres éclatées, des armes de bronze, de bijoux d'or ou de lois pour vos cités ? Vous êtes la cinquième génération qui peuple la planète, que restera-t-il de vous dans deux cent quarante mille ans ?
D'alliés, j'avais deux frères, une nymphe abandonnée en Crète et ma cousine Prudence sur son îlot. En face, Cronos disposait des Titans, des Géants, de toutes les forces de la nature, des Furies. Le premier encouragement vint d'Océan qui m'assura ne pas prendre part au combat et qui accepta que son épouse Téthys recueille ma soeur Héra, tandis qu'une de ses filles Céphira offrait l'île de Rhodes en asile à Poséidon. Ainsi je pouvais compter sur l'élément liquide, mers, fleuves, lacs ou ruisseaux et même les sources qui murmuraient ma venue.
Naissance d'Athèna - vase
Avec Métis sous le siège de Zeus Puis je remarquais dans quel état de domination étaient placés les déesses tant par les Titans que les Géants, les voulant assujetties violemment au principe mâle absolu, méprisant la nature féminine faite de grâce, douceur, tendresse et médiation. Je les ai beaucoup aimées, non pas pour les utiliser, mais pour ensemble me dépenser pour toutes, au nom d'une cause commune. J'ai sincèrement aimé qui, en m'aimant, me fournissait science, arme ou appui. L'Amour n'est pas seulement une flamme, c'est une forge où l'on se consume l'un l'autre, pour bâtir ensemble.
Thémis, site de Delphes, les deux Pierres
Prudence m'indiqua de rencontrer Thémis en premier. Je marchais et arrivais dans cette vallée en forme de bouche, exhalant une plainte qui dessine le site de Delphes. Thémis était là, nue entre les roches Phoedriades, la Rousse et la Flamboyante, comme immense et recouverte d'or.
Ses cheveux, partagés au milieu du front, encadraient de façons symétriques son visage. Ses sourcils étaient égaux, ses narines égales, la ligne entre la pointe de ses seins était une horizontale parfaite et elle tenait dans ses mains ouvertes deux pierres de même poids qu'elle tenait à même hauteur. Elle me dit "Je suis la Loi. Ici ma mère Gaia rendait les oracles et moi, qui les écoute aujourd'hui ?"
Je lui indiquais que j'étais venu l'entendre et m'instruire. Elle m'apprit les lois de l'univers, les lois qui en découlent, la justice dont elle est la gardienne, J'appris que l'ordre est un faux ordre fondé sur la contrainte. Elle m'invita à proposer et non imposer et à préparer ce que j'avais à offrir au monde.
Quand nous faisions l'amour, elle restait debout et droite et quand je l'invitais à se coucher, elle disait que la Loi accepte le sceptre mais ne se couche pas. Trois fois le jour et trois jours durant, les aigles du site environnèrent nos géantes unions. Et je conservais le conseil de Métis; des filles que des filles tant que je n'étais pas roi.
Thémis - marbre temple Rhamnonte - Athénes m. arch.
Les Saisons, . . .
Au premier jour, Thémis et moi conçûmes les trois Saisons aux trois heures de la lumière. Eunomia (Bonnes-Lois), Diké (Justice) et Irène (Paix). Les Athéniens les appellent aussi Eclosion, Croissance et Fruit. Ils n'ont pas tort. Premières nées de l'union de la Loi et du Pouvoir, elles président au cycle régulier de la végétation et de l'ordonnance des sociétés humaines.
Les Saisons - Walter Crane - 1909
. . . et les Parques
Au second jour, nous eumes trois autres filles; Les parques, Clotho, Lachésis et Atropos. Vous en avez une sombre réputation, surtout la dernière qui tranche le fil de vos jours. Pourtant, c'est Clotho qui fait émerger le brin de votre destin particulier. Et Lachésis qui enroule le fil de sa quenouille, est surmenée pour que votre fil s'écoule sans se tordre ou se briser. Or elle n'a pas qu'un fil à surveiller mais les milliards de fils qu'elle surveille. Les parques ne sont pas les Destins, mais elles en sont les gardiennes.
Les Parques - Sodoma
Les Hespérides
Le troisième matin je demandais à Thémis ce qu'elle connaissait de la nature des Destins. Elle me confia qu'elle voyait les Destins comme des Fatalités en création continuelle. Ce jour-là, nous conçûmes les Hespérides; Aeglé, Erythie, et Aréthuse du soir. Elles étaient les nymphes douanières du passage vers le futur où seraient les Destins. Je les ai déposé dans les débris des jardins d'Ouranos. elles ont soin des arbres à pommes d'or qu'Ouranos avait offert aux Atlantes. 
Départ de Delphes, l'oracle de Gaia Le mont qui domine cette orangerie est le mont Atlas. Aeglé cultive les clairs citrons, Erythie surveille les pamplemousses et Arèthuse cueille les oranges du couchant. Ce sont les nymphes de la découverte, elles protègent les penseurs. Chaque soir, elles s'approchent de l'occident et y regarde s'enfoncer le soleil. Elles prennent les ordres du lendemain.
Les Hespérides - Albert Herter
Quittant Thémis, sûr de la revoir dès que j'aurais à rendre mes propres oracles, je fus interpellé par une voix qui venait de la Terre. C'était Gaia ma grand-Mère. Elle me révêla que sans les Un-Œil (Cyclopes) et les Cent-Bras (Hécatonchires), je ne pourrais vaincre mon père. Or je ne savais même pas qui ils étaient, et Gaia de m'en dit pas plus !
Source de l'Oubli, Val bleu, rencontre de Mémoire (Mnémosyne)
Fatigué et doutant de mes réelles capacités, je vins dans une autre gorge, bruissante de toutes les voix des eaux frissonnantes. J'approchai la tête de la plus voisine source. Nulle eau ne m'avait paru à ce point délectable. Je m'endormis aussitôt. Mais quand je m'éveillai, je ne savais plus où j'étais ni qui j'étais.
Au dessus de moi, les yeux bleus d'une Déesse m'observaient avec une tendresse amusée. "Tu as bu à la source de l'Oubli, son eau vient du Léthé, où s'abreuvent les âmes des morts pour perdre le souvenir de la vie terrestre et où doivent boire au retour les âmes qui vont reprendre corps, afin qu'elles oublient tout du séjour infernal." 
Et elle me désigna une autre source, sa source et tout devint clair, lumineux. C'était ma tante Mémoire, fille ainée d'Ouranos. Elle me parla neuf jours, mais jamais, elle ne parla d'elle. Tout ce que je sais d'avant moi, je le tiens d'elle. Neuf nuits, nous nous aimâmes, et nous eûmes neuf filles.
Les Muses, leur nature, leurs fonctions Mnémosyne - mosaique Antakya Turquie
La première Calliope est muse de l'épopée, elle préside aux légendes, aux traditions et au plus anciens souvenirs qu'elle conserve dans les chants et les récits. Elle deviendra la mère d'Orphée qu'elle aura d'Apollon.
La seconde engendrée fut Clio, muse de l'histoire. Elle devait seconder sa mère et relater précisément les faits, mais combien de fois elle suivit sa sœur ainée et travestissait les faits en fables. Plus tard, elle s'éprit d'Arès dont elle racontait le fracas des batailles. Elle s'est souvenu des noms des chefs qui assiégèrent Thèbes et oublié ceux qui ont inventé le treuil, la poulie, l'échelle, l'équerre, la brique, le ciment, la clef de voûte, le papyrus. En fait, elle attendit qu'Hermès lui apporta l'écriture. désormais, elle note tout et de plus en plus.
La troisième fut Polhymnie, muse des chants sacrès et du pouvoir des sons
La quatrième fut Euterpe, la joueuse de flûte, elle est musique. Elle vint quand Mémoire se souvint attendrie de son père Ouranos et de l'Atlantide.
La cinquième fut Terpsichore, muse de la danse, et de la plénitude. Elle vint quand avec Mémoire nous dancions l'un autour de l'autre, elle Terre, et moi Soleil.
Je commencai à m'ennuyer et Mémoire à se répéter. Cette nuit là, elle conçut Erato, muse des œuvres du lyrisme et de l'élégie. Elle traduit le bonheur et le malheur de vivre, la douceur et la douleur d'aimer, l'émotion devant l'univers, le regret d'y être que passager, inspire l'imagination érotique.
J'interrogeai Mémoire sur le lieu où était les Cyclopes et les Hécatonchires. Elle regretta la violence que cela allait déclencher, mais c'était la seule voie pour permettre au monde de sortir du malheur. Je les trouverai donc au Tartare où ils étaient enfermés. La porte qui les retenait serait fermée par quatre vingt seize cadenas dont la clé était dans l'infiniment petit. Et elle me recommanda de ne pas détruire son Val bleu, car personne ne pourrait le reconstruire.
Cette nuit là, Melpomène fut notre œuvre, muse de la tragédie où est représenté le combat des fatalités adverses.
Mémoire s'ingéniait à rire de toute chose. Elle me montrait qu'il venait de l'insolite, de notre peur d'un homme avec un masque de lion, car on y voyait le lion et du rire d'un autre à queue d'âne, car on ne voyait que le derrière de l'âne. La lucide et moqueuse Thalie naquit ce jour-là, muse de la comédie et du théatre.
Mnémosyne et les Muses - Mantegna
Grave Mémoire elle me parla ce dernier jour de l'Homme. "Il est le chef d'Œuvre de mon père, Achève cette œuvre" Elle me confia sa dernière muse; Uranie en souvenir du fondateur, muse des mathématiques de l'astronomie, de la physique, de la biologie, elle mesure la galaxie, l'atome, et calcule les routes de l'infini.
En quittant Mémoire, je me demandais si je n'aurai pas dû l'épouser, mais elle me poussa vers l'avenir. Souvenez-vous mortels de ce vallon bleu aux deux sources, sur le chemin d' Athènes à Delphes, nommé par moi Livadia et situé au pied de l'Hélikon que j'offrais aux Muses.
Eurynomé - les Graces
Et maintenant, en route pour le Tartare ! J'étzis déjà au golfe, nommé plus tard, des Alcyons. Et j'entendis héler mon nom. La voix venait de la mer, d'une Déesse à mi-corps émergée. Je lui intimais de ce taire, Cronos pouvait roder. Je dus aller l'aider, si belle, j'avais encore le temps. Dans la mer, je ne fus pas déçu, pas de buste plus beau que le sien. C'était Eurynomé ou Large-Partage. Allongée sur l'eau, elle montrait à partir des hanches un corps de poisson.
Elle était fille d'Océan, et épouse du Géant Ophion et vivait sur l'Olympe. Cronos s'y senti bien et s'y installa. L'Olympe devint alors un lieu de cruauté. Elle fut trompée, maltraitée et soumice à sévices. Réfugiée chez son père, elle le pria de l'empêcher de sortir de la mer, mais se demandait si elle pouvait encore être aimée ainsi. J'avais trois heures, je ne mis pas grandes défenses à succomber.
Nous eûmes trois filles, ressemblant pour leurs jambes à leur père et pour le reste à leur mère. Aglaé, Euphrosyne et Thalia ne se séparent jamais et l'une se tourne toujours de l'autre côté des deux autres, et se tiennent par l'épaule. Elles sont les Grâces. parfois, elles aident les Saisons et les Hespérides, elles ont tissé avec les Muses, la robe d'Harmonie, et font assez bien les bouquets.
Aucune rencontre n'est jamais inutile, c'est elle qui m'a suggéré l'idée de m'installer sur l'Olympe.
Suite
Les Grâces - Sebastiano Mazzoni - env 1650